Social Anthropology - Robots, AI & Society

lundi 15 novembre 2010

Arts de la Guerre ?

Alfred Crimi illustre l'article Mechanical Brains, Life Magazine, 24 Jan. 1944, p. 66


En parcourant le numéro du 24 janvier 1944 du magazine Life, on peut facilement se rendre compte que l'esthétique futuriste participe de la médiatisation de l'effort de guerre américain. Y sont abordés, dans les images, les grands thèmes du manifeste de 1909, l'audace et le danger, le mouvement agressif, la glorification de la vitesse, du train, de l'industrie, du travail, du patriotisme, de la guerre. 


C'est notamment le cas avec ce dessin qu'Alfred Crimi consacre à la tourelle ventrale du bombardier B-17, conçue par la société Sperry pour laquelle il travaille alors. David Mindell note que le travail de Crimi consiste en une manière de confondre le corps humain et la machine par le biais de l'image. Dans ce travail, souligne-t-il, l'opérateur humain est cerné par la machine, il est intime avec elle, il devient la machine. 


On souligne souvent que l'usage de plus en plus récurrent de drones ou de robots télécommandés en tout genre annoncent la manière dont on fera la guerre demain. Or si l'on regarde d'un peu plus près l'imagerie de la seconde guerre mondiale, mais également les grandes innovations techniques qui accompagnent les premières minutes de la cybernétique, on comprend que cette guerre de robots et de cyborgs a en fait déjà eu lieu ; que cette forme de projection dans le futur serait donc aussi composée du souvenir de l'histoire tragique de la fusion du corps et de l'acier.


Scaphandre Carmagnolle
1882
Quoi de moins étonnant après tout. Voir en effet une quelconque nouveauté dans cette fusion résulterait d'une méprise quand à la longue histoire des relations des humains et des machines. Ce serait oublier, par exemple, comment le costume du scaphandrier a permis à l'humain d'étendre son domaine d'action au-delà des seuls lieux de son existence. 


Cette image de la fusion de l'humain à l'objet technique serait finalement celle de sa lutte sans merci contre les limites d'une condition. Cette lutte ferait de l'image futuriste de la fusion de la machine et du corps le moyen même de sa survie. Banale, cette image où l'humain dans la machine chercherait son égal, dans le surhomme ou dans les figures de sa fantaisie, comme l'a écrit Schlemmer.


Quel théâtre pourtant que celui-là ? Théâtre des limites ? Ontologique ? À trop considérer les prothèses techniques, on oublierait trop rapidement que les images de la survie sont également des mises en scène de la mort. À trop considérer la technique on oublierait le drame ; ce théâtre, malheureusement bien réel, dont les futuristes ont un temps oublié l'histoire.


Pour aller plus loin :
Livre: David Mindell, 2004, Between human and machine : feedback, control, and computing before cybernetics, John Hopkins University Press - sur Amazon.fr