Social Anthropology - Robots, AI & Society

jeudi 20 décembre 2018

Trisha Brown et les cyborgs

Le texte dont est issu cet article est consultable à l'adresse suivante :
http://www.joffreybecker.fr/pdf/JBecker_LesForcesDeLAttraction.pdf

Lorsqu'on songe aux représentations artistiques de la présence humaine dans l'espace les « vues d'artistes » viennent immédiatement à l'esprit. Les arts de la performance entretiennent eux aussi des liens étroits avec le domaine de l'exploration spatiale, partageant avec ce dernier un souci commun pour la vie humaine dans ce qu'elle a de plus banal et cherchant, par le biais de techniques spécifiques, à déplacer les conditions caractérisant l'existence terrestre dans un environnement étranger. 

Émergeant progressivement au milieu des année 1960, l’intérêt de Trisha Brown pour la gravité nait avec Planes, en 1968, et il est intimement lié au contexte de conquête de l’espace. Avec le voyage spatial, il apparaît désormais que la gravité est un élément conditionnant la vie sur Terre. Cet intérêt va donner naissance à plusieurs travaux chorégraphiques entre 1968 et 1971, les Equipment Dances. Dans ces pièces, un mouvement simple de marche est mis en tension par des structures architecturales spécifiques, comme des murs ou des objets.
« J’ai été associée à la construction d’accessoires gigantesques et à des systèmes techniques permettant à des êtres humains de marcher sur des murs, de descendre la façade d’un immeuble de sept étages, d’apparaitre en chute libre ou suspendus dans un espace neutre – des travaux au centre desquels les préoccupations principales sont l’anti-gravité et le mouvement ordinaire tel qu’il apparaît dans des circonstances extraordinaires. » (Trisha Brown, 1973, « Group Primary Accumulation »)
Avec Walking on the wall, Trisha Brown ne décontextualise pas seulement une action en la verticalisant, brouillant par conséquent les repères spatiaux ordinaires des spectateurs. La performance comporte aussi une dimension phénoménologique qui déplace l’expérience même des danseurs en les obligeant d’une certaine manière à réapprendre à marcher. Marcher sur un mur en étant soutenu par des fils eux-mêmes accrochés à un rail n’est, on peut s’en douter, pas chose banale. Et c’est tout l’enjeu de l’expérimentation que de donner à voir ce déplacement au public.


Steve Paxton, Trisha Brown, Walking on the Wall, Whitney Museum of American Art, NY. Photo - Carol Goodden 1971

Il est difficile de savoir dans quelle mesure Trisha Brown a eu connaissance des travaux menés au Langley Research Center dans les années 1960. Les installations de la base aérienne ont fait l’objet d’un reportage télévisé en 1968, durant lequel le présentateur et journaliste de CBS Walter Cronkite s’est essayé au simulateur de gravité lunaire installé pour entrainer les astronautes. Susan Rosenberg note par ailleurs que le travail de Trisha Brown a suscité l’intérêt du directeur de la revue Astronautics & Aeronautics qui, dans une lettre écrite en 1976, l’enjoint à visiter les installations de la base aérienne. Il est en fait de peu d’importance de chercher à déterminer comment l’artiste américaine a eu l’idée de Walking on the wall

Le contexte des années 1960 est traversé d’un engouement populaire sans précédent pour la représentation du corps humain dans l’espace. Le travail sur le rôle de la gravité dans la danse mené par Trisha Brown s’inscrit dans les questions scientifiques et techniques posées en son temps. Et ces questions traversent bien plus largement le champ des arts, où elles prennent parfois la forme d’étranges machines, mixte de tâches humaines et d’équipement technique.

La simulation de la gravité lunaire menée par la division de mécanique spatiale du centre de recherche de Langley présente des ressemblances évidentes avec le travail de la chorégraphe américaine. Cette recherche ambitionne de comprendre comment des gestes aussi ordinaires que marcher, sauter, courir, monter et descendre une échelle peuvent être accomplis lorsqu’ils sont réalisés dans des conditions de gravité ne représentant qu’un-sixième de la gravité terrestre. Ces expérimentations ressortent d’un même logique de programmation de l’activité corporelle et d’un même souci pour le déplacement des activités ordinaires dans une architecture transformée.


Un astronaute au Langley Research Center (NASA courtesy photo/Released)

Le déplacement de la banalité a ainsi un prix, qui est celui de la technique. Pour que le corps humain agisse au-delà des frontières terrestres, il lui faut être équipé, augmenté, et même « refait pour vivre dans l’espace », ainsi que le suggère un article paru dans Life Magazine le 11 juillet 1960, consacré aux travaux du psychiatre Nathan Kline et de l’informaticien Manfred Clynes, les pères de la notion de cyborg. Ce terme est né de la volonté de libérer l'humain des contraintes d'un environnement spatial bien trop complexe pour lui, sans pour autant remettre en question ses capacité intellectuelles, sa créativité, et son goût de l'exploration.

La notion décrit un corps étendu, s'appuyant sur des dispositifs techniques grâce auxquels il lui est possible d'agir. C'est en somme le corps que nous avons toujours eu. Ce corps qui a toujours été appareillé, toujours équipé de crayons, d'ordinateurs, ou d'institutions, de tous ces « outils » qui nous permettent d’échafauder et de transformer nos idées. Ce corps qui, « partout, sous des formes diverses mais toujours à quelques degrés, […] est l'objet de modifications ou d'adjonctions. » comme l'ont souligné Michel Leiris et Jacqueline Delange.

Or ce corps équipé, qui traverse le travail de Trisha Brown comme celui des ingénieurs du Langley Research Center, va bien au-delà des extensions matérielles décrites par la notion de cyborg. Pour en saisir la profondeur, il faut comprendre ce corps comme la combinaison subtile de l’activité des collectifs humains et des machines. Système socio-technique, plastique, en contradiction parfois avec lui-même, ou résistant à ses propres prérogatives, les agencements humains et matériels caractérisant la performance des danseurs et des astronautes forment la condition par laquelle il est possible de susciter l’imagination en variant les paramètres des conditions ordinaires d’existence.

Pour aller plus loin :
Rosenberg Susan, 2017, Trisha Brown, Choreography as Visual Art, Middletown, Wesleyan University Press
Reduced Gravity Simulator for Study of Man's Self Locomotion, NASA Langley CRGIS (Film)

lundi 17 décembre 2018

Mobilités Intelligentes - Imaginaires sociotechniques

Maquette réalisée par Norman Bel Geddes pour le pavillon General Motors Futurama (1939)

J'ai eu le plaisir de participer à une nouvelle édition de l'atelier sur la vie robomobile organisée au Ministère de la transition écologique et solidaire au mois d'avril. Je tiens à saluer le travail remarquable de synthèse de la session sur les imaginaires sociotechniques à laquelle j'ai participé, et dont on peut consulter les grandes lignes à l'adresse suivante :

https://www.mobilite-intelligente.com/index.php/apvr/gla2018/i2-une-carte-postale-des-imaginaires-robomobiles

lundi 5 novembre 2018

Biosphere 2 - Feb 2018


Dr. Katerina Dontsova, Aaron Bugaj, Dr. Gene Giacomelli and Katie Morgan kindly accepted to tell us about the state of the art science done at UA Biosphere 2. 

Short-film made by Joffrey Becker, in collaboration with Perig Pitrou & Istvan Praet thanks to the support of PSL Research University program IRIS-OCAV/Bioarti and CNRS-UA UMI IGlobes.

PRÉSENCES EXTRATERRESTRES - Saison 2


La saison 1 du cycle « PRÉSENCES EXTRATERRESTRES » proposait une série de films sur la diversité des formes de vie extraterrestres qui pourraient survenir sur Terre.

Diversité des formes de vie en science-fiction

L’astrophysicien Roland Lehoucq, l’anthropologue Perig Pitrou et le paléontologue Jean-Sébastien Steyer ont savamment concocté le cycle de la saison 2, avec 8 films programmés jusqu’en juin 2019.

Ils nous proposent de suivre ce qui se produit lorsque des humains s’aventurent au-delà des limites de l’atmosphère : pour se placer en orbite géostationnaire, se poser sur la Lune ou sur Mars, voire pour explorer de nouvelles galaxies.

Que ce soit pour fuir un monde devenu invivable, coloniser d’autres environnements ou mieux connaître les exoplanètes disséminées dans l’Univers, les raisons de s’arracher à la pesanteur terrestre ne manquent pas.

Dans tous les cas, les humains doivent réaliser des prouesses technologiques et adapter leurs corps afin d’assurer le bon fonctionnement de processus biologiques fondamentaux (respiration, mouvement, alimentation, sommeil).

La vie des organismes se révèle donc indissociable des écosystèmes, naturels ou anthropisés (vaisseaux spatiaux, bases lunaires ou martiennes) au sein desquels ils évoluent, dans des couplages humains/machines inédits.

La mise en scène d’évènements extraordinaires, autant que la description des activités quotidiennes, montrent que, plus largement, cette expérience met à l’épreuve la capacité des humains à vivre seuls… ou en groupe. Par-delà les questions biologiques et technologiques, l’exploration spatiale soulève donc toujours des questions sociales et politiques.

Un cycle de 8 films-débats

En compagnie d’écrivains, d’astrophysiciens, de chercheurs en sciences physiques, en sciences naturelles et en sciences humaines et sociales, ce cycle de 8 films-débats invite à réfléchir à ce que sont, ou pourraient être, des vies humaines dans l’espace.

Les personnages de ces films survivront-ils ? 
Rencontreront-ils des formes de vie non-humaines ? 
Ce cycle est organisé en partenariat avec Sciences et Avenir.

lundi 16 juillet 2018

Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne

Peut-on tout faire avec un "Sexbot" ? - Église de Couthures-sur-Garonne (Photo: G. Rozières)

J'ai eu l'immense privilège de débattre des questions soulevées par l'intelligence artificielle et la robotique avec Véronique Aubergé, Serge Tisseron, Jean-Gabriel Ganascia, Nathalie Nevejans et Hervé Aubron lors du Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne à l'invitation de Catherine Vincent et Grégory Rozières.

https://festivalinternationaldejournalisme.com/fij2018/intelligence-artificielle-vivre-avec-les-robots/

vendredi 20 avril 2018

Journée d'études L'animisme aujourd'hui

Laboratoire d’Anthropologie Sociale
Équipe « Anthropologie de la vie et des représentations du vivant »
Projet La vie à l’œuvre
Projet IRIS – Origines et conditions d’apparition de la vie
Pépinière interdisciplinaire CNRS-PSL Domestication et fabrication du vivant
Labex TransferS

L'animisme aujourd'hui

Journée d’études organisée par 
Perig Pitrou & Joffrey Becker

Dans le cadre du séminaire 
Anthropologie de la vie et des représentations du vivant

Le 17 mai 2018
9h30 – 17h30

Collège de France – Salle 2
11 place Marcelin Berthelot
Paris

Inscription obligatoire sur : 

Dans Le totémisme aujourd’hui (1962), Claude Lévi-Strauss entreprend une réflexion critique autour d’une notion classique de l’anthropologie, afin de déterminer sa valeur heuristique pour la compréhension des sociétés humaines. Dans le même esprit, cette journée d’étude organisée par l’équipe « Anthropologie de la vie et des représentations du vivant » vise à engager une réflexion collective interdisciplinaire dans un domaine revitalisé par les travaux contemporains des anthropologues amazonistes. En s’interrogeant sur le statut de l’animisme dans le cadre d’un projet comparatiste d’anthropologie de la vie, un des objectifs est d’évaluer son rendement analytique, hors des sociétés traditionnelles, dans des enquêtes menées sur l’horticulture urbaine, les thérapeutiques néo-chamaniques, la robotique, le cinéma ou l’exobiologie.


Programme

9:30 
Accueil 

9:45
Perig Pitrou (CNRS – LAS – PSL) 
L’animisme aujourd’hui. La perspective de l’anthropologie de la vie 

10:15 
Martin Fortier (EHESS – PSL) 
L’animisme sans essence : âmes, maîtres et identité biologique chez les Pano d'Amazonie et au-delà 

11:00 
Pause 

11:30 
David Dupuis (Durham University – LAS) 
Les gringos deviendraient-ils animistes ? Rencontres avec le végétal dans un centre chamanique d'Amazonie péruvienne 

12:15 
Istvan Praet (University of Roehampton – Chercheur Invité IRIS-OCAV) 
Animisme & astrobiologie : Des laboratoires conceptuels 

13:00 
Pause 

14:00 
Émilie Letouzey (Université Toulouse Jean Jaurès – LISST – CAS) 
Animé, animer : exemples d’“animizumu” en contexte japonais 

14:45 
Teresa Castro (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 – IRCAV) 
Un cinéma animiste ? De l’individualité technique à la subjectivité machinique de la caméra 

15:30 
Pause 

16:00 
Joffrey Becker (LAS – IRIS-OCAV – PSL) 
Devenons-nous animistes au contact des robots ? 

16:45 
Discussion générale

lundi 2 avril 2018

Vivre et travailler dans une machine : L'écologie des systèmes cyber-physiques


Jeudi 5 avril 2018 
à 14h30 
ENSA Paris-Malaquais 
Salle 206, bâtiment Perret


Le séminaire Théorie Histoire Projet, « Généalogie du projet contemporain », en association avec le Laboratoire Infrastructure Architecture Territoire (LIAT), invite Joffrey Becker, docteur en anthropologie sociale et ethnologie et chercheur affilié au Laboratoire d’Anthropologie Sociale.


La cybernétique, science interdisciplinaire des systèmes clos, est à l’origine de bien des transformations et sa révolution est encore loin d’avoir épuisé toute ses ressources. La dissémination croissante de senseurs et d’effecteurs dans l’environnement implique de prendre en compte l’impact qu’ont les technologies dites numériques sur nos sociétés. Au delà de toutes les machines dont on peut suivre les exploits dans la presse ou sur internet, il y a aussi tous les systèmes robotiques qu’on ne remarque pas et qui, pourtant, habitent déjà nos sociétés et en régulent les activités. Ces technologies, dont la transversalité les inscrit dans maints domaines d’activité humaine, ressortent d’une volonté d’augmenter la performance des systèmes socio-techniques en économisant sur les moyens humains qui jusqu’alors en permettaient la régulation. Partant de l’étude ethnographique d’un élevage laitier robotisé menée en collaboration avec l’anthropologue belge Séverine Lagneaux, je montrerai de quelle manière ces systèmes cyber-physiques ne participent pas simplement d’une transformation des activités mais aussi d’une reconfiguration des liens au sein d’une communauté hybride élargie aux machines.

mardi 13 février 2018

LES ROBOTS ET NOUS : Vivrons-nous dans une machine ?

J'aurais le plaisir d'intervenir à l'auditorium de la médiathèque l'Apostrophe, à Chartres, le 17 février, pour une conférence consacrée aux enjeux de la robotisation de nos sociétés.




jeudi 1 février 2018

The Closed Ecologies of Cyber-Physical Systems: A Case Study (Doc-Postdoc Session)

BIOCOSMOS: Our Sense of Place, Our Sense of Life in the Universe, PSL Research University / IRIS-OCAV, University of Arizona, Biosphere 2, Oracle (AZ) - Feb 1st 2018



The workshop was organized by the OCAV (Origin and Conditions of Appearance of Life) program at Paris Sciences-Lettres Research Université and the CNRS-ENS-Arizona International Center for Interdisciplinary and Global Environmental Studies (iGLOBES). It aimed at breaking through disciplinary boundaries by bringing together a mix of astronomers, Earth scientists, ecologists, and anthropologists to discuss how our understanding of life and nature as integrated systems advances and evolves as we become able to assemble and control complex artificial ecosystems on Earth, prepare to send and use such ecosystems on the Moon and Mars, search for alien life and ecosystems on other planets and planetary bodies, and push the boundaries of our exploration of the distant universe.

See also: http://www.cnrs-univ-arizona.net/welcome/news-events/biocosmos-workshop