Social Anthropology - Robots, AI & Society
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mercredi 6 septembre 2023

Colloque LaborIA : Les transformations du travail par l’IA

mar. 26 sept. 2023 

08:30 - 16:30

Atelier Barillet

15 square Vergennes 75015 Paris

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Parce quʼelle permet de réaliser des opérations cognitives, de prendre des décisions, de mimer la communication humaine, de manier dʼautres outils et objets et surtout dʼapprendre par elle-même, lʼintelligence artificielle (IA) est vectrice dʼinterrogations sociétales croissantes. Son développement rapide nourrit des craintes politiques et sociales qui portent tant sur lʼévolution des métiers que sur la disparition de certaines fonctions, alimentant des scénarios contrastés (Frey et Osborne, 2017 ; Askenazy & Bach, 2019) et parfois pessimistes sur lʼavenir du travail. Loin dʼêtre réductible à sa seule dimension technologique, lʼIA porte ainsi en elle de profondes mutations sociales : un tiers des emplois pourraient en être transformés ces vingt prochaines années (OCDE, 2016), ce qui en fait un momentum ethnologique (Ferguson et Pecoste, 2022).

Depuis les années 1990, des chercheurs en sociologie du travail, en psychologie sociale et en sciences de gestion se sont intéressés à ces transformations au fil de leurs apparitions (Dodier, 1995 ; Boltanski et Chiapello, 1999 ; Gilbert, 1998...). Progressivement, ils ont offert des cadres dʼanalyse pour appréhender lʼimpact des outils sur les systèmes organisationnels et gestionnaires, les rapports de pouvoir en entreprise, analysant les phénomènes de résistance au changement, lʼévolution des approches RH, managériales ou encore les nouvelles logiques de gestion des compétences (Zimmermann, 2000, 2011 ; Boussard, 2008 ; Chiapello et Gilbert, 2013 ; Meda et Vendramin, 2013).

Cette armature conceptuelle apparaît toutefois à revisiter aujourdʼhui au vu de la profondeur des transformations induites par lʼIA dans les organisations : ces outils ne peuvent désormais plus être considérés comme de simples instruments, et les humains comme seuls “acteurs”. Ces “nouveaux actants” (Latour et al., 2006) et ces articulations Homme-Machine inédites peuvent impacter les systèmes organisationnels et humains (Relieu et Velkovska, 2021 ; Zouinar, 2020). Ils déplacent subtilement les équilibres existants en termes de responsabilité, de reconnaissance, dʼautonomie, de savoir-faire et de relations sociales au travail (Ferguson et Pecoste, 2022). Dans ce contexte, lʼentremêlement des dynamiques pose un défi sociologique nouveau : isoler les impacts spécifiques à lʼIA par rapport

aux enjeux plus généraux dʼappropriation des nouvelles technologies et d'appropriation au changement. Dʼores et déjà, un certain nombre de travaux pointe les enjeux et les risques sociaux potentiellement associés à la conception et à lʼincorporation dans le travail de ces systèmes fondés sur lʼIA (Casilli, 2019 ; Rosa, 2010).

Dans une perspective sociotechnique, qualifier les effets de lʼIA sur le travail représente toutefois un exercice difficile appelant à lʼhumilité collective tant ces technologies sont évolutives - les IA génératives telles que ChatGPT lʼillustrent bien - et comme les rétroactions entre lʼhumain et les outils quʼil façonne sont complexes. Les conséquences des IA sur les organisations, les métiers, les espaces et temps de travail, les besoins en compétences, et plus profondément, les pratiques et relations professionnelles, demeurent peu prévisibles.

Peu de travaux portent aujourdʼhui sur la dimension micro de ces transformations, à lʼéchelle des individus, sur les vécus, les pratiques professionnelles et leurs conséquences sociales et organisationnelles. Il est apparu essentiel dʼengager une étude de lʼexpérience travailleur (Anact, 2018). Faisant le constat du faible nombre de travaux empiriques sur ce thème, une vaste démarche de recherche-action a été impulsée en 2020 par le Ministère du Travail, du Plein emploi et de lʼinsertion et par Inria : LaborIA. A la fois un laboratoire de sciences humaines appliquées et espace dʼanticipation et de réflexion pour lʼaction, LaborIA étudie au concret les transformations alors que se déploient les systèmes dʼIA dans les organisations (LaborIA, 2022 ; 2023). Mobilisant plusieurs équipes de recherche, elle sʼappuie sur un grand nombre dʼétudes de cas.

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Programme

MATINÉE

COLLOQUE SCIENTIFIQUE

8h30 - 9h00 ACCUEIL

9h00 - 9h15 MOT DʼOUVERTURE par les partenaires du LaborIA (Ministère du

Travail, du Plein emploi et de lʼInsertion, Inria, Matrice) 

9h15 - 9h45 INTRODUCTION par le Keynote speaker 

• Pascal Picq, Paléoanthropologue, maître de conférence au Collège de France

9h50 - 10h50 PANEL 1 : Présentation des résultats du LaborIA Explorer, première zone dʼexpérimentation du LaborIA

• Simon Borel, sociologue, chercheur du LaborIA Explorer, Matrice • Jean Condé, sociologue, Directeur scientifique de Matrice

• Yann Ferguson, Coordinateur scientifique du LaborIA

10h50 - 11h05 PITCHS DES POSTERS de chercheurs travaillant sur différentes problématiques autour des impacts de lʼIA sur le travail

• Louis Devillaine, Doctorant - IA et systèmes techniques complexes, PACTE (CNRS & UGA) & chaire éthique et IA

• Quentin Genissel, Doctorant - Management algorithmique, Université Paris Dauphine PSL

• Valentin Goujon, Doctorant - Deep learning, Médialab Sciences Po • Tanguy Mercier, Ingénieur, Matrice

11h05 - 11h20 PAUSE

11h20 - 12h40 PANEL 2 : Les transformations du travail au niveau de lʼindividu • Modérateur : Marie Benedetto-Meyer, sociologue, Dares

• Gérald Gaglio, Sociologue des organisations, Université Côte d'Azur

• Clément Le Ludec, Chercheur en sociologie du travail, Institut Polytechnique de Paris

• Claire Marzo, Maître de conférence en Droit Public, Université Paris-Est Créteil

PANEL 3 : Les transformations du travail au niveau du collectif, de lʼorganisation

• Modérateur : Moustafa Zouinar, ergonome, Orange Labs

• Joffrey Becker, Anthropologue social, ENSEA-ETIS

• Anca Boboc, Sociologue du travail, Orange Labs

• Emmanuelle Mazuyer, Directrice de recherche en droit, CNRS, coordinatrice du projet TraPlaNum

12h40 - 13h40 DÉJEUNER (buffet) et café


APRÈS-MIDI

DESIGN PROSPECTIF

13h40 - 15h40 CONFÉRENCES INTERACTIVES

Nous penserons les transformations du travail liées à lʼIA, à horizon 2035, sous lʼangle de 3 thématiques déterminantes pour les transformations potentielles. Chaque thématique sera contextualisée par un expert qui partagera les différents éléments essentiels pour pouvoir construire des scénarios.

Dans un second temps, le public sera invité à se positionner sur les scénarios présentés.

• Conférence introductive “Les IA génératives” (30 min) - Bertrand Braunschweig, Coordonnateur scientifique du programme confiance.ai

• Thématique 1 : Droit du travail (30 min) - Claire Marzo, Maître de conférence en Droit Public, Université Paris-Est Créteil

• Thématique 2 : Géopolitique (30 min) - Julien Nocetti, chercheur, programme Géopolitique des technologies, Ifri

• Thématique 3 : Climat (30 min) - Association Latitudes

15h30 - 16h10 PANEL de clôture

• Pascal Picq, Paléoanthropologue, maître de conférence au Collège de France • Yann Ferguson, Sociologue et Responsable scientifique du LaborIA

16h10 - 16h30 CONCLUSION : Perspective socio-historique

• François-Xavier Petit, Historien et Directeur général de Matrice

16h30 CLÔTURE du colloque


jeudi 4 juin 2020

Concevoir des machines anthropomorphes



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Becker Joffrey, « Concevoir des machines anthropomorphes. Ethnographie des pratiques de conception en robotique sociale », Réseaux, 2020/2 (N° 220-221), p. 223-251

Résumé : À partir de deux cas extraits de l’ethnographie, cet article propose d’étudier comment s’articulent les approches théoriques et les techniques mobilisées en robotique pour concevoir des interfaces relationnelles. En revenant sur l’intérêt des roboticiens pour la biologie et le théâtre, l’article questionne la façon dont ces derniers s’y prennent pour tenter de faciliter les relations que nous pouvons avoir avec leurs objets. Il porte plus particulièrement l’attention sur les opérations de transfert par lesquelles les chercheurs en robotique intègrent des comportements à leurs robots afin d’apporter un point de vue complémentaire au champ de l’anthropologie des interactions humain-machine, qui prenne en compte les pratiques de conception. 

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Becker Joffrey, « Designing anthropomorphic machines : An ethnography of design practices », Réseaux, 2020/2 (N° 220-221), p. 223-251

Abstract : Drawing on two case studies, this article examines the interrelations between the theoretical and technical approaches used in robotics to design relational interfaces. Investigating robotics engineers’ interest in biology and theatre, it examines the ways in which they attempt to facilitate humans’ relationships with robots. In particular, it focuses on a process of transference whereby robotics researchers integrate behaviours into their robots. It thus provides a complementary perspective to the anthropology of human-machine interactions that takes design practices into account.

URL : https://www.cairn.info/revue-reseaux-2020-2-page-223.htm

lundi 27 avril 2020

Ethnographies des Agents Conversationnels , Réseaux n° 220, mai-juin (à paraître)



ETHNOGRAPHIES DES AGENTS CONVERSATIONNELS
Coordonné par Marc Relieu & Julia Velkovska

Assistants vocaux, chatbots textuels, robots humanoïdes : la diffusion croissante d’agents conversationnels dans la société fascine, effraye, soulève des questionnements d’ordre philosophique, éthique, juridique, technique, politique et moral. Présents à travers une diversité d’artefacts, ces agencements technologiques sont capables de produire des paroles ou bien des écrits pendant des interactions avec des humains et de simuler des compétences humaines, des rôles sociaux ou encore des formes de relations sociales. Depuis le milieu des années 2000, nous assistons ainsi pour la première fois à des rencontres inédites « grandeur nature » entre des formes de l’intelligence artificielle conversationnelle et des utilisateurs ordinaires dans leur vie quotidienne, en dehors des murs des laboratoires. Les agents conversationnels ont d’abord rejoint les rangs des produits offerts par les plus importants acteurs du numérique : Google, Microsoft, Apple ou Amazon proposent des enceintes connectées pour l’environnement domestique capables d’interagir vocalement avec les utilisateurs. Mais ces agents ne sont que le fer de lance d’un marché plus vaste, qui comprend également les robots conversationnels textuels (chatbots) prenant en charge différentes interactions de service et les robots humanoïdes. Utilisés massivement dans l’assistance technique et commerciale, les chatbots peuvent par exemple accuser réception d’une requête d’un client, repérer le problème posé et rechercher la solution dans des bases de données. Si les services rendus par ces robots conversationnels les rapprochent d’autres applications web, ils s’en distinguent néanmoins par l’utilisation du langage naturel. Enfin, venant s'incarner dans des organismes artificiels matérialisés – les robots humanoïdes – les agents conversationnels se sont enrichis de modalités diverses, par exemple les pointeurs ou les possibilités de mouvement permettant de désigner un objet dans l'environnement ou encore la capacité à détecter la présence de personnes, de reconnaître des émotions et d’exprimer des simulacres émotionnels. Aujourd’hui, les premiers robots d'accueil ou d'assistance fabriqués par cette nouvelle informatique « affective » commencent à passer les limites des laboratoires pour entrer dans les musées ou les situations commerciales. Comment penser les conséquences sociales d’une telle diversité à la fois de formes technologiques et des situations sociales dans lesquelles l’IA conversationnelle vient s’inscrire ? C’est ce défi que le présent dossier de Réseaux se propose de commencer à relever en rassemblant un premier ensemble en français de travaux empiriques sur les interactions avec les agents intelligents. Comment interagit-on avec des agents artificiels ? Quelles relations les personnes développent-elles avec ces machines parlantes ? Quel sens et quelle place ces machines prennent-elles dans notre vie quotidienne ? Comment reconfigurent-elles nos activités à la maison, au travail, dans l’espace public ? Comment nous affectent-elles et quelles formes d’attachement peuvent-elles susciter ?

Les enquêtes réunies dans ce dossier de Réseaux montrent que la recherche en sciences sociales gagne à se saisir empiriquement – avec le regard ajusté aux pratiques propre aux démarches ethnographiques – de la diversité des contextes, des interactions, et des projets auxquels les trois principaux types d’agents conversationnels sont aujourd’hui associés. Pour penser la complexité des infrastructures technologiques associées à ces applications de l’IA et leurs conséquences sur notre vie en société ce numéro propose de s’appuyer sur les résultats d’enquêtes portant à la fois sur la conception, l’appropriation ou les interactions avec ces différents agents. Résolument empirique et descriptif, le parti pris de ce dossier est également pluraliste en accueillant une diversité de manières de faire des ethnographies de l’IA. Réunissant des travaux ancrés dans l’ethnométhodologie, l’analyse conversationnelle, la vidéo-ethnographie, la linguistique interactionnelle, la sociologie économique ou l’anthropologie sociale il témoigne de la fécondité des approches observationnelles pour prendre la mesure des transformations technologiques et sociales contemporaines à l’échelle des pratiques.

Les contributions :

« Pourquoi ethnographier les agents conversationnels ? »
– Par Marc Relieu et Julia Velkovska

« Tisser des liens : l’interaction sociale chez les agents conversationnels »
– Par Justine Cassell

« Les relations aux machines ‘conversationnelles’ : Vivre avec les assistants vocaux à la maison »
– Par Julia Velkovska et Moustafa Zouinar

« Une approche configurationnelle des leurres conversationnels »
– Par Marc Relieu, Merve Sahin et Aurélien Francillon

« Répondre aux questions d’un robot : dynamique de participation des groupes adultes-enfants dans les rencontres avec un robot-guide du musée »
– Par Karola Pitsch

« ‘Je dois y aller’. Analyses de séquences de clôtures entre humains et robots »
– Par Christian Licoppe et Nicolas Rollet 

« Construire la ‘compréhension’ d’une machine : une ethnographie de conception de deux chatbots commerciaux »
– Par Charlotte Esteban

« Concevoir des machines anthropomorphes. Ethnographie des pratiques de conception »
– Par Joffrey Becker

jeudi 20 décembre 2018

Trisha Brown et les cyborgs

Le texte dont est issu cet article est consultable à l'adresse suivante :
http://www.joffreybecker.fr/pdf/JBecker_LesForcesDeLAttraction.pdf

Lorsqu'on songe aux représentations artistiques de la présence humaine dans l'espace les « vues d'artistes » viennent immédiatement à l'esprit. Les arts de la performance entretiennent eux aussi des liens étroits avec le domaine de l'exploration spatiale, partageant avec ce dernier un souci commun pour la vie humaine dans ce qu'elle a de plus banal et cherchant, par le biais de techniques spécifiques, à déplacer les conditions caractérisant l'existence terrestre dans un environnement étranger. 

Émergeant progressivement au milieu des année 1960, l’intérêt de Trisha Brown pour la gravité nait avec Planes, en 1968, et il est intimement lié au contexte de conquête de l’espace. Avec le voyage spatial, il apparaît désormais que la gravité est un élément conditionnant la vie sur Terre. Cet intérêt va donner naissance à plusieurs travaux chorégraphiques entre 1968 et 1971, les Equipment Dances. Dans ces pièces, un mouvement simple de marche est mis en tension par des structures architecturales spécifiques, comme des murs ou des objets.
« J’ai été associée à la construction d’accessoires gigantesques et à des systèmes techniques permettant à des êtres humains de marcher sur des murs, de descendre la façade d’un immeuble de sept étages, d’apparaitre en chute libre ou suspendus dans un espace neutre – des travaux au centre desquels les préoccupations principales sont l’anti-gravité et le mouvement ordinaire tel qu’il apparaît dans des circonstances extraordinaires. » (Trisha Brown, 1973, « Group Primary Accumulation »)
Avec Walking on the wall, Trisha Brown ne décontextualise pas seulement une action en la verticalisant, brouillant par conséquent les repères spatiaux ordinaires des spectateurs. La performance comporte aussi une dimension phénoménologique qui déplace l’expérience même des danseurs en les obligeant d’une certaine manière à réapprendre à marcher. Marcher sur un mur en étant soutenu par des fils eux-mêmes accrochés à un rail n’est, on peut s’en douter, pas chose banale. Et c’est tout l’enjeu de l’expérimentation que de donner à voir ce déplacement au public.


Steve Paxton, Trisha Brown, Walking on the Wall, Whitney Museum of American Art, NY. Photo - Carol Goodden 1971

Il est difficile de savoir dans quelle mesure Trisha Brown a eu connaissance des travaux menés au Langley Research Center dans les années 1960. Les installations de la base aérienne ont fait l’objet d’un reportage télévisé en 1968, durant lequel le présentateur et journaliste de CBS Walter Cronkite s’est essayé au simulateur de gravité lunaire installé pour entrainer les astronautes. Susan Rosenberg note par ailleurs que le travail de Trisha Brown a suscité l’intérêt du directeur de la revue Astronautics & Aeronautics qui, dans une lettre écrite en 1976, l’enjoint à visiter les installations de la base aérienne. Il est en fait de peu d’importance de chercher à déterminer comment l’artiste américaine a eu l’idée de Walking on the wall

Le contexte des années 1960 est traversé d’un engouement populaire sans précédent pour la représentation du corps humain dans l’espace. Le travail sur le rôle de la gravité dans la danse mené par Trisha Brown s’inscrit dans les questions scientifiques et techniques posées en son temps. Et ces questions traversent bien plus largement le champ des arts, où elles prennent parfois la forme d’étranges machines, mixte de tâches humaines et d’équipement technique.

La simulation de la gravité lunaire menée par la division de mécanique spatiale du centre de recherche de Langley présente des ressemblances évidentes avec le travail de la chorégraphe américaine. Cette recherche ambitionne de comprendre comment des gestes aussi ordinaires que marcher, sauter, courir, monter et descendre une échelle peuvent être accomplis lorsqu’ils sont réalisés dans des conditions de gravité ne représentant qu’un-sixième de la gravité terrestre. Ces expérimentations ressortent d’un même logique de programmation de l’activité corporelle et d’un même souci pour le déplacement des activités ordinaires dans une architecture transformée.


Un astronaute au Langley Research Center (NASA courtesy photo/Released)

Le déplacement de la banalité a ainsi un prix, qui est celui de la technique. Pour que le corps humain agisse au-delà des frontières terrestres, il lui faut être équipé, augmenté, et même « refait pour vivre dans l’espace », ainsi que le suggère un article paru dans Life Magazine le 11 juillet 1960, consacré aux travaux du psychiatre Nathan Kline et de l’informaticien Manfred Clynes, les pères de la notion de cyborg. Ce terme est né de la volonté de libérer l'humain des contraintes d'un environnement spatial bien trop complexe pour lui, sans pour autant remettre en question ses capacité intellectuelles, sa créativité, et son goût de l'exploration.

La notion décrit un corps étendu, s'appuyant sur des dispositifs techniques grâce auxquels il lui est possible d'agir. C'est en somme le corps que nous avons toujours eu. Ce corps qui a toujours été appareillé, toujours équipé de crayons, d'ordinateurs, ou d'institutions, de tous ces « outils » qui nous permettent d’échafauder et de transformer nos idées. Ce corps qui, « partout, sous des formes diverses mais toujours à quelques degrés, […] est l'objet de modifications ou d'adjonctions. » comme l'ont souligné Michel Leiris et Jacqueline Delange.

Or ce corps équipé, qui traverse le travail de Trisha Brown comme celui des ingénieurs du Langley Research Center, va bien au-delà des extensions matérielles décrites par la notion de cyborg. Pour en saisir la profondeur, il faut comprendre ce corps comme la combinaison subtile de l’activité des collectifs humains et des machines. Système socio-technique, plastique, en contradiction parfois avec lui-même, ou résistant à ses propres prérogatives, les agencements humains et matériels caractérisant la performance des danseurs et des astronautes forment la condition par laquelle il est possible de susciter l’imagination en variant les paramètres des conditions ordinaires d’existence.

Pour aller plus loin :
Rosenberg Susan, 2017, Trisha Brown, Choreography as Visual Art, Middletown, Wesleyan University Press
Reduced Gravity Simulator for Study of Man's Self Locomotion, NASA Langley CRGIS (Film)

vendredi 17 septembre 2010

Cognition et création : les arts robotiques


J'aurai le plaisir de participer, à partir du 10 novembre, à l'animation du séminaire Cognition et Création aux côtés de Denis Vidal et d'Emmanuel Grimaud. Le séminaire sera consacré cette année aux arts robotiques.

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Cognition et création : les arts robotiques

2e et 4e mercredis du mois de 17 h à 19 h (Musée du quai Branly 75007 Paris, salle 2, inscription préalable obligatoire sur www.quaibranly.fr, rubrique «Étudier et rechercher»), du 10 novembre 2010 au 25 mai 2011. Pas de séance le 23 février 2011.

Le séminaire est consacré au rapport entre anthropologie et robotique et portera plus spécifiquement, cette année, sur les arts robotiques. On date généralement des années 60, avec l’émergence de pratiques artistiques nouvelles, inspirées de la cybernétique, les débuts de l’art robotique. Mais on peut également en trouver toutes sortes de prémisses et des formes plus ou moins alternatives dans d’autres époques comme dans les cultures les plus diverses. Notre objectif, dans ce séminaire, sera d’étudier et d’analyser – souvent en concertation avec des praticiens, aussi bien artistes que roboticiens – certaines des formes prises aujourd’hui par l’art robotique. Ce sera aussi de mettre en relation de tels développements avec d’autres formes d’activité artistique. Ce sera enfin de montrer comment de telles pratiques, qui se situent à la frontière entre l’art, la science et la technologie, permettent souvent de reprendre, dans des termes inédits, les questions traditionnellement posées par l’anthropologie comme par l’histoire de l’art.