Social Anthropology - Robots, AI & Society

vendredi 7 octobre 2011

Machines cosmologiques ?

De l'horloge de Giovanni de' Dondi au tore robotique de Julius von Bismarck




On sait combien l'imitation de la nature, à l'appui de l'automatisation, à été fondatrice du mouvement vers les sciences. Sans revenir jusqu'à l'histoire naturelle de Pline et au duel fameux remporté par Parrhasios, ni aux automatismes de l'antiquité dont la robotique aime à raconter l'histoire, il est nécessaire de noter que c'est au Moyen-Âge que se fondent les principes d'une mécanisation de l'univers prenant forme dans l'objet. On connait le vif intérêt des mécaniciens du Moyen et d'Extrême-Orient pour les automatismes hydrauliques de mesure du temps ou les calendriers mécaniques. En Europe occidentale, c'est au moment où l'univers s'invente comme une machine, qu'une révolution silencieuse s'engage. 

Jean Gimpel montre bien comment l'horloge astronomique conçue par Giovanni de' Dondi au XIVe siècle forme un modèle réduit du système pensé par Ptolémée. L'observation des mouvements célestes et des forces qui en fondent alors le mystère conduisent à l'élaboration de toute une série d'objets, dont certains reprennent la forme des processus qui ont été observés. C'est le cas pour l'horloge de Dondi, qui intègre des roues dentées ovales reproduisant les trajectoires décrites par la Lune et par Mercure, et qui prend en considération deux mouvements de la planète Saturne. L'horloge intègre et combine deux types de connaissance jusqu'alors bien distinctes, une pensée du temps et une pensée de l'espace. L'ambition de Dondi n'était pas seulement de concevoir un mécanisme d'une très grande précision. Cet automatisme devait également apporter la preuve de la constance du mouvement des planètes. L'objet suscite la fascination de ses contemporains et, jusqu'au XVIIIe siècle, de nombreux horlogers tenteront de percer le mystère de son fonctionnement. Il faut souligner que, au bas Moyen-Âge et à la Renaissance, les horloges mécaniques sont considérées comme des objets merveilleux, capables d'imiter le mouvement perpétuel des cieux et des créatures vivantes, et donc de constituer de véritables modèles de l'univers.

Johannes Kepler
Mysterium Cosmographicum
1596
Si l'horloge participe de l'élan vers une conception mécaniste de l'univers autant que du mouvement de curiosité fondateur des sciences modernes, l'intérêt pour la représentation artistique des théories cosmologiques semble en revanche s'être dissipé. À une époque où l'imitation de la nature dépendît surtout de l'intérêt des peintres pour la géométrie et la perspective, on pouvait facilement imaginer que les horloges pussent être d'abord pensées comme des représentations fidèles des théories développées par les astronomes. Mais à présent, la modélisation cosmologique moderne, en multipliant les hypothèses concernant la forme de l'univers, semble avoir considérablement compliqué la possibilité même de représenter la théorie.


Le travail de la forme de l'univers semble toutefois être au cœur du problème posé par l'artiste allemand Julius von Bismarck, et son Self Revolving Torus. Cette curieuse machine cherche en effet à illustrer l'hypothèse d'un univers fini dont la forme serait un tore. C'est d'abord vers un retour de la curiosité que semble s'orienter un tel projet. En effet, si la fascination pour les horloges astronomiques traduit une curiosité pour l'érudition elle-même, telle qu'elle s'organise alors à travers les collections des kunstkammers, un tel objet semble s'inscrire dans la perspective d'une nouvelle conjonction entre les sciences et les arts. Mais ce projet semble également retourner à la proposition fondatrice de l'analogie récursive formulée à travers les horloges astronomiques du Moyen-Âge et de la Renaissance, résumée par l'anthropologue Roy Wagner, et selon laquelle "les machines fonctionnent de la manière dont fonctionnerait la nature si elle était une machine".





Un tel objet expérimente en fait la relation de la forme et du sens. Mais traduit-il pour autant un mouvement fondateur d'une unité retrouvée de la nature et de la culture ? Horst Bredekamp souligne que les frontières entre l'art, la technologie et la science s'effacent progressivement, et d'une manière tout à fait comparable à ce qui formait jadis l'unité visuelle des kunstkammers. Les sociétés hautement technologiques d'aujourd'hui, écrit-il, font l'expérience d'une nouvelle révolution copernicienne, en ce qu'elles passent d'une domination du langage à une domination de l'image. En cela, on peut penser avec lui que les sciences ne peuvent aujourd'hui faire l'économie de l'histoire des arts.


Pour aller plus loin
Livre : Horst Bredekamp, The lure of antiquity and the cult of the machine, Princton, Markus Wiener Publishers, 1995
Internet : Julius von Bismarck